Au seuil de la nouvelle année... — Diocèse de Tulle

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Au seuil de la nouvelle année...

Eglise en Corrèze - Janvier 2019

Entre le moment où j’écris ces lignes (14 décembre) et le moment où vous les lirez (début janvier), je ne sais pas ce qui se passera... Depuis plusieurs semaines, notre pays traverse une crise grave, dite des « gilets jaunes ». Aux manifestations légitimes est venue se mêler la violence sous diverses formes. Que penser de cette situation ? Comment analyser ce que nous sommes en train de vivre ? Je repère trois niveaux d’analyse qui vont du simple constat à la recherche des causes profond du mécontentement dans notre société.

- Le premier niveau d’analyse est un simple constat au sujet de la situation économique et sociale. Il faut bien reconnaître que notre pays traverse un malaise profond. Les chiffres donnés par le Secours Catholique, dans son rapport annuel, témoignent d’une pauvreté croissante en France : « le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, en France, a augmenté d’un million depuis la crise financière de 2008 pour atteindre aujourd’hui près de 9 millions de personnes. Ce rapport 2017 montre que les femmes, souvent seules avec des enfants, représentent une proportion croissante des personnes rencontrées par le Secours Catholique, que les couples avec enfants se précarisent aussi et que le nombre d’étrangers en situation d’extrême pauvreté augmente fortement ». Cette situation est inquiétante. Elle est source de conflits. Elle confirme le diagnostic des Evêques dans le texte publié avant l’élection présidentielle : « La contestation est devenue le mode de fonctionnement habituel, et la culture de l’affrontement semble prendre le pas sur celle du dialogue (...) Il y a un sentiment de déception vis-à-vis de l’Etat providence qui n’arrive pas à satisfaire les attentes » (Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique, 14 octobre 2016). Les mesures annoncées par le Président de la République et le gouvernement apporteront sûrement une bouffée d’oxygène. Mais, pour employer le vocabulaire médical, il s’agit d’un traitement « symptomatique », qui ne s’attaque pas aux racines du mal.

- Le deuxième niveau d’analyse demande uneréflexion sur le politique et sur l’économie libérale. Le ressort ou le moteur économique qui prévaut dans nos sociétés est celui de la consommation. Nos sociétés sont devenues malades parce que tout repose sur la consommation. Je cite encore le texte des évêques : « Un idéal de consommation, de gain, de productivité, de Produit intérieur brut, de commerces ouverts chaque jour de la semaine, ne peut satisfaire les aspirations les plus profondes de l’être humain qui sont de se réaliser comme personne au sein d’une communauté solidaire ». De plus, il semble bien difficile aujourd’hui de conjuguer l’idéal de croissance et de consommation avec celui de la lutte contre le réchauffement climatique qui impose des mesures drastiques, lesquelles demandent un changement de mode de vie des individus et des sociétés.

- Le troisième niveau d’analyse concerne l’horizon de sens dans notre société. Cet horizon s’est complètement aplati. Tel est le constat fait par les évêques dans le texte pré-cité : « Depuis une cinquantaine d’années, la question du sensa peu à peu déserté le débat politique. La politique s’est faite gestionnaire, davantage pourvoyeuse et protectrice de droits individuels et personnels de plus en plus étendus, que de projets collectifs. Discours gestionnaires qui ont accompagné le progrès, la croissance, le développement de notre pays, mais sans se préoccuper du pour quoi. La richesse économique, la société de consommation, ont facilité cette mise à distance de la question du sens. Depuis le milieu des années 70, les difficultés économiques, la réduction des richesses, la montée du chômage, les incertitudes dues à la mondialisation, ont rendu ce rôle de simple gestionnaire et d’arbitre de plus en plus difficile, ne pouvant répondre aux questions plus fondamentales de la vie en commun ». Nos sociétés sont malades parce qu’elles traversent une crise profonde, la crise du sens. Nous avons perdu le sens du Bien commun, lui préférant l’assouvissement des désirs individuels qui prétendent à être érigés en norme universelle ! Il y a déjà plusieurs années, le philosophe Michel Serres observait que les « moyens » avaient énormément augmenté alors qu’en même temps on avait perdu de vue les « buts », et que ce hiatus entre l’augmentation des moyens et la perte de la recherche des fins était « la cause profonde de notre mécontentement ». J’irai plus loin en disant que la crise la plus profonde est d’ordre spirituel. Les derniers papes ont tous parlé de « l’oubli de Dieu » pour identifier la source du malaise de notre civilisation. Cet oubli de Dieu entraîne en effet l’oubli de l’Homme. Si Dieu n’existe pas, l’Homme aussi finira par ne plus exister !

En tant que chrétiens, immergés dans cette société, nous avons une responsabilité particulière. Non pas parce que nous serions meilleurs que les autres, mais parce que nous croyons que tous les hommes sont enfants de Dieu et que, par conséquent, seule la fraternité peut rendre le monde meilleur. Parce que nous croyons en Dieu, nous ne désespérons pas de l’humanité ; Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique pour nous sauver. Nous venons de célébrer la Nativité du Sauveur. Dieu s’est fait notre frère en Jésus-Christ. Le mystère de l’homme est à jamais éclairé par le mystère du Verbe incarné. Pour cette raison, « Jésus-Christ est le principe stable et le centre permanent de la mission que Dieu lui-même a confiée à l'homme. Nous devons tous participer à cette mission, nous devons concentrer sur elle toutes nos forces, car elle est plus que jamais nécessaire à l'humanité d'aujourd'hui » (Saint Jean-Paul II, Redemptor hominis, n. 11).

C’est ce que je vous souhaite pour la nouvelle année 2019 ! Bonne et sainte année dans la joie, l’amour et l’espérance en Jésus Christ, qui ne nous enlève rien, mais qui nous donne TOUT.

+ Francis Bestion,

Évêque de Tulle

 

 

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